Le dernier poilu inconnu
motscoeur | Le dernier poilu inconnu | Ajouté le 14/11/2010 à 16h03 |
Tu brandis, à bout de doigts jaunis, tremblants, Une photo racornie, ridée de visages brillants, En rang bien rangés, sans que rien ne dépasse, Pliés au carré, uniformément, de première classe. Gradé, au centre, fixant l’objectif comme l’ennemi, D’un éclat d’acier, le regard en chien de fusil, Aux aguets, tu posais pour la postérité, invincible, L’avenir militaire de carrière à ciel ouvert pour cible. Les souvenirs étalés sur la table, végétant, endormi, Fixant, d’un coin d’œil livide, la boite à médailles vernie, Tu bois troubles, dans le verre, humide d’alcoolémie, Des années pleines d’aventures au devoir accompli. Regrettant à moitié, plein, d’avoir vendu ton âme Aux marchands de canons, affutés, sans états d’âme, Friands de chairs fraiches au Chemin des Dames, Tu te voutes sous l’arche des héros que le temps acclame. A quoi sert de mourir à point quand la mort t’a cuit à poing Sur le champ de bataille, laissant pour seul témoin Des annuaires, gravés de chagrin, de grâce à chaque coin De place, que les fanfares tricolores claironnent avec soin ? A découvert, offert au regard de la mitraille temporelle, Tu libères un bout de ta mémoire aux globes des maquerelles, Avides d’une première page dans Flamme Actuelle, Au Gala macro-scoopique inter générationnelles. Le Monde t’épile, à la recherche d’une leçon mal apprise Dans les manuels d’histoire que la vérité déguise à sa guise, Au nom de la mémoire collective, souveraine et soumise, Qui n’a de cesse d’étouffer les enfants qu’elle martyrise. Poilu, de tes jeunes années kamikazes tu te rases… Tu rumines la dépouille de tes camarades dans leur case… Accoudé au zinc, derniers des bleuets à payer l’ardoise, Au poil, à petit feu, tu consumes prêt du poêle tes métastases… Ps: Après le billet de Grand Jacques et avoir vu le film de Tavernier "Capitaine Conan" je n'ai pas pu m'empêcher d'en écrire un autre sur l'absurdité du sujet. |
Grand Jacques | RE: Le dernier poilu inconnu | Ajouté le 15/11/2010 à 00h00 |
Très beau pamphlet sur cette horreur. J'avais un ami poète, un humaniste, un libertaire qui a écrit un magnifique texte sur les Mutins de 1917. Il s'appelait Jacques Debronckart. Je me permettrai de diffuser son texte , il est dans la ligne de ce que tu viens de nous offrir. Merci Motscoeur |
Grand Jacques | RE: Le dernier poilu inconnu | Ajouté le 20/11/2010 à 23h30 |
Voici ce qu'a écrit mon ami Jacques Debronckart ... Mutins de 1917 Vous n'êtes pas aux monuments aux Morts Vous n'êtes même plus dans les mémoires Comme vos compagnons de la Mer Noire Vous êtes morts et deux fois morts A vos petits enfants l'on ne répète Jamais comment finit leur grand papa Il y a des choses dont on ne parle pas Mutins de dix neuf cent dix sept Sur votre dos les Joffre et les Nivelle Faisaient carrières dans les Etats majors Leur humeur décidait de votre sort Aujourd'hui qui se le rappelle ? Au lieu de s'emmerder en garnison Au lieu de piétiner au même grade C'était le temps béni de l'empoignade Vous parlez d'une belle occasion Vous aviez tant fait d'assauts inutiles Juste pour corser le communiqué Vous vous sentiez tellement cocufiés Tellement pris pour des imbéciles Que vous aviez voulu que ça s'arrête Cet abattoir tenu par la patrie Cette nationale charcuterie Mutins de dix neuf cent dix sept Avant l'attaque arrivaient les cercueils Et vous coupiez votre pain sur leur planche Tout juste si le crêpe à votre manche N'annoncait votre propre deuil Par malheur la France n'était pas prète Se révolter lui paraissait énorme Elle bavait encore devant l'uniforme Mutins de dix neuf cent dix sept L'Histoire vous a jetés dans ses égouts Cachant sous des flots de Marseillaise Qu'une bonne moitié de l'armée française Brûlait de faire comme vous Un jour sortirez-vous des oubliettes ? Un jour, verrons-nous gagner votre cause ? J'en doute à voir le train où vont les choses Mutins de mille neuf cent dix sept Jacques DEBRONCKART |
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