Routes
Zigueuner | Routes | Ajouté le 25/11/2006 à 10h16 |
Alors quelle route prendre ? Celle qui au matin vous emmenera au rendez vous , dans la zone industrielle après le péage ? Ou celle que prend joyeusement la petite tribu , après avoir arrimé sur la galerie ces choses indispensables aux jeux de la plage ? Ou encore celle qui conduit le migrant vers un nouveau destin ? Quel beau pays ! D'Ambérieu en Bugey , à la Dombes , une route qui emmène d'est en ouest par St Maurice de Remens le village natal de Saint Ex , petite mairie 1900 avec un porche souligné de briques , une place paisible aux commerces somnolents , puis quelques courbes et virages pour monter sur Chalamont le point culminant de la Dombes , direction Versailleux et ce sont des vallonnements avec des routes qui partent sur la droite pour aller se perdre dans les bois. Un clocher apparaît qui se détache derrière une colline , une courbe et c’est l'étang Chapelier . Les couleurs sont magiques , toutes les nuances de vert du paille à la rouille , des feuilles virevoltent sur fond de ciel joliment ennuagé , parfois une bande de corbeaux rouspètent lorsqu'ils doivent s'écarter devant la voiture . L'eau est présente partout qui fait des taches de bleu enchassées entre les champs bordés d'arbres. Et c'est Villars les Dombes , halte réputée et connue des migrateurs de tous plumages qui traversent l'Europe du nord au sud . Conversation entendue entre deux canards "colvert"à l'étape de Villars : - Ho compadre Pato , tu viens d'où ? - Salut Donald Donaldovitch , j'arrive du Jutland , je rentre chez moi au sud de Seville , je crois que je vais rester deux ou trois jours , j'attends que le vent du sud tombe , ce sera mieux avec le vent du nord . Et toi ? - Je suis attendu à Doubrovnik , je décolle bientôt , mais tu verras ici c'est bien , la bouffe est bonne , le coin tranquille , les chasseurs se tiennent à l'écart , c'est une vraie plaie ceux là . - D'accord avec toi , en France ils tirent sur tout ce qui vole et depuis ces rumeurs de grippe aviaire on peut plus les tenir , ils vont se croire utiles ! Bonne route à toi Donaldovitch et prends soin de toi . Tu donnes le bonjour pour moi . Et compadre Pato , fatigué mais serein , se lissa le plumage et se mit en quête d'un repas . Alors je les ai laissés à leurs occupations , ils avaient à parler , ils ne se reverront que dans quelques mois lorsqu'ils prendront leur envol pour les destinations de l'été . Vous quittez Bagnières de Bigorre , la route est parfois encaissée , parfois dégagée , elle monte continûment , vous traversez Sainte Marie de Campans avec ces personnages de bois et de chiffons qui assis ou debout dans des poses naturelles ont l'air de contempler le passant et toujours l'ombre tutélaire des Pyrénées omniprésentes . Le paysage change , moins d'arbres,des prairies pelées avec des blocs de roche qui émergent ça et là . Vous approchez de la Mongie et de ce fameux col du Tourmalet qui a fait et défait tant de légendes de champions qui se transcendaient dans les lacets du col . Au sommet , avant la descente vertigineuse vers Barèges, sur la droite une guérite , une barrière , un panneau vous informant des dates d'ouverture de la piste , dernier maillon de huit kilomètres (et quels kilomètres !) qui vous sépare du Pic du Midi. Paradoxe d'une nature sombre , puissante et pourtant si fragile , nous savons qu'elle dépend de nous mais aussi qu'elle peut nous annihiler . Vous vous engagez sur cette piste , pas de place pour le croisement , mais comment font ils tous les jours ? A petite allure , vous longez d'une manière craintive le bord de la roche , au virage d'après c'est un à-pic qui se dévoile , coup d'oeil au compte-tours , regard sur la route , sensation de pouvoir toucher avec la main les détails du paysage tellement l'air est limpide . Un ciel changeant , des nuages se succèdent à une allure échevelée le bleu revient , décidément vous n'êtes plus tout a fait sur terre . A deux km du but une auberge grise et tassée , vous la laissez sur votre droite et derniers virages , une esplanade dénudée , quelques véhicules , des silhouettes emmitouflées s'affairent à décharger du matériel pour emprunter le monte charges du "plan incliné" ; Stop , moteur coupé vous regardez votre montre , 20 minutes ! Pour 8 kilomètres ! Vaguement fier , surtout apaisé , vous rejoignez le petit groupe qui vous accueille avec des plaisanteries : "qu'est ce que t'es venu faire là ? tu t'es perdu , ils t'ont mal renseigné en bas ?"Les deux rails du plan incliné se perdent à la vue nimbés de brume et luisants de givre . Vous remontez le col de votre parka , un frisson vous parcoure l'échine , d'un thermos on vous a servi un café , le gobelet est brûlant ; Je suis arrivé , c'est là que je dois être pensez vous très fort . C'était un jour de septembre où je rejoignais mon équipe pour une visite de chantier . Ils sont là face à face , lui d'un air qui se veut détaché vérifie l'agencement du coffre de la voiture , elle , qui savait que le mot fin était imprimé sur une page depuis le jour où cela avait commencé essaie de plaquer un sourire sur ses traits défaits . Elle est belle , rayonnante de vie et de féminité , tout chez elle est invite à l'abandon . Il sait qu'elle a fait de chaque repas une fête , de chaque étreinte un début du monde , de chaque heure un moment d'éternité . La stupidité des "convenances et obligations" les a amenés là ce matin , face à face sans plus de fard ni de faux semblant , alors la voix mal assurée , mi question , mi affirmation elle dit "il va falloir que tu y ailles" . Il s'avance vers elle , elle se jette dans ses bras , sa tête s'abandonne au creux de l'épaule , elle le serre fort , fort , lui la retient car il lui semble qu'elle perd pied . Des soubresauts le troublent , elle ne peut plus résister , alors il l'embrasse longuement . Puis à gestes lents elle s'écarte de lui , se dirige vers le portail . - Bonne route , fais attention à toi ... - Je t'appelle dès que j'arrive . Elle écarte les vantaux du portail , il monte en voiture . Contact , il embraye , la voiture se met en mouvement . Vitre baissée , un signe de la main , elle lui renvoie un au revoir . Rétroviseur , sa silhouette est agrippée à la crémone , la tête au creux du bras , elle ne regarde pas la voiture qui s'éloigne . Pourquoi ne s'est elle pas mise en travers d'allée ? Pourquoi a t'il démarré ? Première , compte tours 3800 , deuxième , le pont qui enjambe l'Aude , la route , Carcassonne , puis Toulouse , Cahors et Sarlat . Une page se tourne , au gré des affectations , au gré des déplacements , boule dans la gorge et goût amer ... Ironie , qu’est ce qu’il fait beau ! |
loreley89 | RE: Routes | Ajouté le 25/11/2006 à 21h41 |
c'est drôle ta nouvelle, ziguemer, on dirait qu'elle ouvre la porte à l'imagination, et l'idée d'une autre histoire, qui démarrerait, sur la route de toulouse, menant à cahors .....un appel anonyme...et un espoir qui renaît...et une autre pensée qui s'installe ..qui est-elle? pourquoi là, maintenant, moi? juste là, sur cette route loin du monde? |
Lysée-Hodinia | RE: Routes | Ajouté le 26/11/2006 à 01h28 |
a) pas du tout surprise mais époustouflée du contenu, des images qui s'en échappent et du talent, Incontestable ! b) Premier Virage : Amusante halte automnale de compères canards (style La fontaine ?) Deuxième Virage : Bagnères ! la Ville Thermale ! Dominée de son Pic du Midi d'où l'on a, de son frais balcon, un regard panoramique exceptionnel ! Un régal ... à couper le Souffle! Troisième Virage : l'étreinte de l'adieu ou de la séparation sous cette élégante mise en scène de ne pas montrer sa peine... Magnifique ! |
alain | RE: Routes | Ajouté le 27/11/2006 à 16h20 |
un trajet riche en expérience, tu sais si bien raconter! |
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