Lulu Guidon...Et quelques autres
Matou | Lulu Guidon...Et quelques autres | Ajouté le 08/10/2009 à 21h28 |
Chroniques d'entre Rhône et Saône "Lulu, Lulu Guidon.... Mais oui, tu t’en souviens, elle faisait dans la ferraille, elle avait un estanco, rue de Gerland. " Il est là, assis sur un fauteuil de camping, engoncé dans une canadienne dont le col lui remonte un peu les oreilles, sa gapette sur les sourcils, le teint fleuri de ceux qui fréquentent les bistros tôt le matin. Devant lui, debout, un grand clampin dans un jean informe, les mains au fond des poches, dans le petit vent aigrelet qui soulève les feuilles tombées des platanes de la place Carnot. Ben non il ne se rappelle pas de Lulu. Et pourtant. J’ai passé mon chemin, je n’ai pas attendu la suite, l’histoire des riches heures de Lulu la ferrailleuse, j’ai préféré lui en fabriquer une , mieux en accord avec qui elle était. Elle avait passé son certo c’était en....? Juste avant guerre, puis il a fallu qu’elle se mette au boulot, les conditions économiques familiales l’imposaient, le papa avait été victime d’un accident du travail qui l’avait laissé aigri, il avait surtout perdu son emploi et en voulait à la terre entière , au front popu qui avait trahi, à ses collègues qui ne lui rendaient plus visite, à sa femme qui avait trouvé un petit travail chez les bourgeois du coté d’Ainay et qui lui reprochait de rien glander à la maison. Lulu était alors bien mignonne, la tête pleine des rêves de l’adolescence, mais bon, quand il faut, il faut. Elle donnait la main au marché, elle ramenait ainsi avec trois trognons de salade, des tomates, des patates, quelques maigres sous. Elle sortait peu, les parents lui tenaient la laisse bien courte, avec tout ce qu’on voit! Puis la guerre est arrivée, Lulu avait dix sept ans, les hommes étaient partis pour rester cinq ans en captivité, mais ça ils ne pouvaient pas le deviner en 1939 et la môme Guidon avait laissé partir son matou, un jeune qui était entré chez Berliet après son apprentissage d’ajusteur. La débâcle, l’exode, tous ces traîne-misère jetés sur les routes, quand ce cortège est arrivé à Lyon personne n’en croyait ses yeux. L’occup’ et la zone nono, en novembre 42 les frisés ont envahi ce qui restait et là ça n’a plus rigolé. Lulu fricotait avec Manolo un beau gitan à l’oeil de braise, récup’, traficotages, faut bien vivre, puis il y a eu Friederich, un grand teuton, mecano à la werhmacht, il bricolait avec Manolo, et dit-on Lulu lui manifestait parfois de l’affection pendant que son gitan visitait les demeures bourgeoises. Mais tout ça n’a qu’un temps, Friederich est parti sur le front de l’est se frotter aux moujiks, quant à Manolo, rafflé un soir du printemps 44 il a été expédié au pays des nuits et brouillards pour le destin qu’on devine. J’ai failli croiser Lulu, en 68, je fréquentais une bande d’indiens des “îles”, oui à l’époque ce n’était encore pas le parc de Miribel Jonage, c’était les “îles”, dans les vorgines du Rhône à Miribel, où tout un petit monde allait se la faire belle le temps d’un dimanche à la campagne. Il y avait Gégène, Constant, Tatane... Gégène fils de famille maudit, officier de réserve, en 1940 il avait rejoint l’ORA, l’organisation de résistance de l’armée au prétexte que si on avait pris une branlée c’était pas une raison pour s’écraser, pour se priver de notre liberté. Sa famille ne lui a pas pardonné de s’être acoquiné avec des rouges, des cocos au lieu de participer à la révolution nationale du sauveur du moment, not’vieux maréchal bien aimé. Constant était franc-mac, il me parlait de sa loge en termes mystérieux, “vous devriez venir voir, sûr que ça vous botterait”, il cherchait à recruter et on s’aimait bien... Il répétait comme une antienne en parlant des femmes” toutes des garces”, ce à quoi Gégène répondait “elles disent de nous tous de salauds, alors on fait quoi?”. Mais bon il avait un jour en rentrant du labeur trouvé son appartement plus vide que vide, “même pas une chaise, rien, restait rien”, alors depuis il en avait conçu comme de l’amertume. Quant à Tatane c’était une franche escarpe comme on n’en voit plus, il ferraillait, faisait du “négoce”, import-export, sans trop d’interdits. Il avait eu des gagneuses mais le petit personnel est une source de soucis, de tracas, il n’y a aucune reconnaissance à en attendre et il avait quitté son costume de hareng pour s’occuper des successions à déménager, de préférence nuitamment. Je crois que Lulu et lui, enfin je sais qu’il avait un local rue de Gerland, son “dépôt”et Gégène m’avait décrit le souk en termes dithyrambiques, “si vous voyiez ça!”. Tatane qui n’était ni poète, ni lettré parlait de temps en temps du fabuleux coup de rein de sa régulière, alors il m’a plu d’imaginer que la môme Guidon et lui... Détail troublant, un jour chez Milou aux Brotteaux, enfin on m’a rapporté, un ancien d’indo, “la légion”avait plaisanté en mimant le geste de faire du vélo en tenant un guidon imaginaire à bout de bras. Tatane lui a demandé de cesser “rengracie, tout de suite, t’entraves?”l’autre a voulu faire le mariole, ils sont sortis s’expliquer, et le rescapé de Cao Bang s’en est pris une sévère. Il s’est fait oublier quelques jours, revenu chez Milou à l’heure de l’apéro, lui restaient quelques marques encore, il a raconté qu’il avait eu des démêlés avec des “gris”, que d’accord il était un peu amoché, “mais si t’avais vu leurs tronches, moi c’est rien, que dalle, nib de nib à coté de ce que je leur ai mis.” Tatane dégustait le récit puis a dit à Milou de mettre sa tournée, “qu’est ce que tu prends la Légion, à part des pains?”La salle a ri, la Légion le premier, puis tout le monde a remis la sienne, c’est comme ça que ça se passe chez les gens à principes. Ils ont tous existé, alors que cette Lulu Guidon ait pu être de la coterie, pourquoi pas? Il y a bien pire comme fréquentation. |
Hubix-J.Felert | RE: Lulu Guidon...Et quelques autres | Ajouté le 08/10/2009 à 23h14 |
salut matou,j'ai lu te prose avec délectation,genre de chronique sociale au ton populaire qui fait penser à du Blondin,matiné d'Audiard,qu'aurait pas renié Prévert et qu'aurait pu être adapté au ciné par Lautner,avec dans les rôles principaux...c'est le genre de texte que j'adore lire et franchement j'ai pas été déçu...merci et à la renvoyure... |
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