Esprit


Astrid A. Esprit Ajouté le 28/10/2011 à 12h40
[Décembre 2010 - Ceci n'est pas un poème mais une nouvelle plutôt courte, vieux texte que j'ai retrouvé en rangeant les dossiers de mon disque dur externe. Il n'est pas forcement excellent mais, l'art réside dans le partage!]



«On ne se suicide pas parce que la vie est absurde, ou parce qu'on est abandonné. Ces raisons-là viennent après.»

[J.M.G. Le Clézio]

Je me vois gisant là, avec pour seul linceul, un drap troquant sa blancheur immaculée et artificielle pour une teinte d'un rouge vermillon naturel. Je vois ces gens, des riverains pour la plupart, d'une hypocrisie frappante de pureté mais d'une humanité certaine; qui pleurent face à ce tableau qu'ils oublieront sans doute d'ici quelques mois, quelques semaines voir quelques jours pour certains. Je lève les yeux et soudain, la lumière m'éblouit. Je ne me voyais pas si ... livide. Mes voisins semblent stupéfaits. Je trouve cela étrange que les personnes de votre entourage ne se soucient de vous qu'à partir du moment où le médecin déclare l’heure de votre décès. Enfin, il est trop tard pour haïr. Les sapeurs pompiers sont arrivés en retard ce jour là. Après mes multiples tentatives et mes combats perdus, c'est moi qui aie gagné la guerre. Je trouve ma mort plutôt scénique. Tel le christ sur sa croix, je baigne dans mon sang entouré d'un drap digne d'un tableau de Delacroix; j'irais presque jusqu'à dire que les contrastes sont d'une perfection sans bornes, le rouge bordeaux tranche avec ma peau blême ce qui fait ressortir le côté tragique de la situation, la fenêtre ouverte au second plan offre une vue implacable de la ville et le ciel mythique de l'aube naissante. Ma sœur est là, avec son mari qui n'a jamais pu me supporter. Il la regarde d'un air compatissant. Mais pourquoi pleure-t-elle? Cela fait déjà plus de dix ans qu'elle ne m'a plus parlé, je gâchais le tableau de sa vie comme une tâche d'encre de chine sur une nature morte. Certes, vous vous demandez ce qui a bien pu se passer, et je comprends votre position. C'est pourquoi je vais reprendre mon histoire depuis le début. Mais avant cela, sortons de cette pièce. Nous continuerons à bavarder tout en survolant le monde, ou en marchant avec les humains ignorants que sont les habitants de ce monde.

Je suis né dans la nuit du vingt-cinq Novembre 1977. Une histoire plutôt banale. Des cris, des angoisses, la clinique... et me voila. C'est plus tard que j'appris que certains psychanalystes décrivait cette étape de la vie comme terriblement traumatisante, ce que je juge véritablement naïf ou aveugle car qui se souvient du jour de sa naissance? Celui qui pense que ce trauma est le premier n'a jamais vécu. Du moins, pas au-delà de son premier cri. Je dois dire qu'ils n'ont pas tout à fait tort, c'est bien à ce moment là que s'effectue le premier choc, mais ce n'est pas le seul et ils se sont trompés d'origine. En effet, tu n'es pas sans ignorer que la cause du trauma, psychanalytiquement parlant provient du changement brusque de milieu, tu es arraché à ta mère et découvre le monde extérieur etc, etc... Quel Baratin ! N'est-ce pas une façon de naître des plus naturelles que de changer de monde; quand on est contenu dans un espace aussi exigüe comme l'est cet utérus maternel, n'est-il pas plus passionnant de visiter un autre lieu où s'épanouir en toute quiétude? Non, mon ami, le choc n'est pas là. Il s'effectue de manière bien plus brutale. Je reprendrais une idée, au risque de te surprendre, des "Monthy Python" dans leur film "Le sens de la vie" quand une mère qui vient de mettre au monde son enfant demande au médecin de quel sexe il est, le médecin lui répond qu'il est bien trop tôt pour lui infliger ça. Ce choc là est inévitable, la pression de la société pèse sur les toutes petites épaules des nouveaux nés. Regarde cet hôpital, c'est ici que je suis né. Nostalgique? Non, c'est juste un point de repère parmi tant d'autre, une de mes premières prisons mentales. Tu veux faire un tour à l'intérieur? Allons-y. La dernière fois que je suis entré ici, c'était pour rendre visite à ma sœur après son premier accouchement. Je n'ai jamais compris pourquoi elle tenait tant à accoucher au même endroit que notre mère, c'est un mystère que je ne résoudrais sans doute jamais. Regarde moi tout ces visages souriants, ignorant les belles années qui les attendent, les biberons de la nuit, les couches sales, les cris, les bêtises, les conneries de l'adolescence, les déprimes de l'adolescence, le passage à la vie adulte, les déchirures, les douces engueulades... S'ils avaient conscience qu'à la base, ceci n'est qu'un sacrifice, peut être que leurs enfants ne porteraient pas cette imputation sur leurs dos tels de vulgaires gastéropodes perdus dans leurs coquilles spiralées que sont leurs esprits meurtris. Pardonnes moi, je m'égare. Je vais entamer l'explication de ma situation controversante. Je te conterais mon histoire seulement après la visite du purgatoire pour l'avortement. Regarde ces visages de femmes, le courage rayonnant sur leurs traits fatigués qui leurs annonce le moment de défaire de cet être inhospitalier. Et dire que la société les pointe du doigt parce qu'elles sont, trop jeunes, trop junkie, trop alcooliques, ou même, trop violées... Je ne peux qu'admirer l'immense lucidité qui les traverse à l'instant même où elles ont décidé de faire ce choix aussi crucial qu'ardu. Je crois que nous en avons assez vu, sortons. Aussi étonnant que cela puisse te paraitre, ma vie ne fut pas vraiment chaotique. J’eus une enfance qu'on pourrait qualifier comme «normale ». Mes géniteurs s'entendaient plutôt bien dans l'ensemble mis à part quelques désaccords ce qui est normal dans toutes relations humaines. Tu peux voir à ta gauche, mon école d'où je n'ai d'ailleurs que de brumeux souvenirs, j'étais espiègle comme tout les enfants. J'avais un père condescendant et une mère débonnaire mais deux parents compréhensifs. As tu déjà noté que, lors de l'accompagnement rituel occidental de la marche vers les enseignements les plus primaires de notre société, autrement dit: l'école, c'est souvent les parents qui souffrent le plus d'y laisser leurs enfants? Ce n'est qu'une remarque parmi tant d'autre. Par cette inquiétude, que je qualifierais d'égoïste, on façonne l'enfant en faisant en sorte qu'il s'émeuve à la moindre fluctuation troublant sa routine. Comme tous les autres, je jouais, je m'intéressais à toutes sortes de choses insolites, j'apprenais la langue, l'hygiène, la politesse... Toutes ces choses qui font de toi un homme «intègre ». Je faisais des erreurs et j'avançais. Mes relations fraternels était quelque peu tendu je dois dire. A l'époque je ne savais pas vraiment ce que mon aînée me reprochait, mais plus je me rapprochais d'elle, plus elle s'éloignait vers d'obscurs desseins. Plus tard, avec le recul, je sus que la place que j'occupais au sein de la famille avait jadis été la sienne. Dur à consentir pour une petite fille de son âge. Jusqu'à ce qu'un jour, quand elle eût fini de construire sa vie, elle m'occulte complètement de la sienne. Mes parents aussi avait leurs petits travers; leurs excuses étant généralement un vulgaire proverbe entendu on ne sait où: "on n’apprend pas à être parents". Pourtant, les règles sociales présentes depuis la nuit des temps, depuis le début même de la naissance de ce qu'on peut appeler dorénavant "famille", dicte bien la marche à suivre pour l'éducation de la descendance. Un des maîtres mots de cette doctrine universel fut transposé dans notre pensée occidentale: Ne sois pas pour tes descendants, un mauvais exemple. J'aimerais savoir ce qu'ils définissent par "mauvais exemple". La question n'était pas là m'avait-on rétorqué jadis quand j'étais en âge de me questionner. Et des questions, j'en posais. Je m'interrogeais sur tout, comme n'importe quel enfant de six ans. L'âge où j'avais appris à lire. Depuis pour rassasier ces inlassables questions, je dévorais les livres des yeux et aussitôt que j'en avais finis un, j'en reprenais un autre. Groucho Marx disait: "En dehors du chien, le livre est le meilleur ami de l'homme. En dedans, il fait trop noir pour y lire." C'est ainsi que j'ai compris que mes réponses ne serait pas "in extenso" puisqu'un livre est la vision d'un autre. Il est vrai qu'au début, comme tout disciple tu as besoin d'un guide, mais peu à peu il faut savoir lâcher la main conseillère pour continuer le chemin seul. Je dois dire que j'ai probablement lâché la main trop tôt à l'époque.

Puis vint le temps de l'adolescence. Comme tout habitant frondeur de la jeunesse, des questions pseudo-existentielles se sont posées à moi. Le monde me semblait cruel, injuste. Je ne me trouvais aucune place ici bas et j'accusais les ancêtres de ne pas m'aider à en trouver une. La société de nos jours à véritablement tendance à stigmatiser les jeunes par peur. Ils le savent qu'ils ont lancé des bombes à retardement dans cette jeunesse fébrile. Regarde ce pauvre gamin dans ce chantier, à ta droite, à son âge, il est déjà contraint de se défoncer au chite et de dealer pour se sentir en vie. Une bouffée d'air frais cette fumée psychédélique!

Dans ma vie, je me suis beaucoup intéressé à l'art. La peinture par exemple... Vient avec moi au musée, j'ai quelques pièces à te montrer. Il paraitrait que les œuvres picturales décriraient la société dans laquelle on vit. Alors je me suis posé diverses questions: Pourquoi Cézanne a-t-il intitulé son tableau "Nature Morte" alors qu'il est censé représenter fidèlement le monde réel? Est-ce à travers les yeux de l'homme que la nature parait morte? Certes, elle nous parait inanimée, mais de là à la qualifier de cadavérique. Ou peut-être à travers la représentation de la nature, l'homme décrit son essence profonde. Ainsi, l'art moderne décrirait la dislocation totale de notre âme intérieure. Cherchant en vain une compréhension évasive permettant de nous expliquer d'où nous vient cette conscience neurophile qui nous cause tant de peine et de douleurs. Ou peut être est-ce la violence humaine qui s'exprime à travers l'art. Picasso voulait-il montrer l'illogisme de la cupidité humaine à travers son tableau "Guernica". Un massacre oiseux? En tout cas, on pourra dire qu'il aurait eu raison de dénoncer ce genre de culte à la violence menant à l'apologie de la Brutalité. Ma mort, ma vie en aurait changé quoi de ce monde insipide?

Nous ne sommes plus soumis au temps, faisons donc un rapide détour vers l'Amérique cher ami. Sous nous, l'océan d'un noir profond découlant du mazout visqueux produit et déversé par la bêtise des hommes. Ah, enfin l'Amérique, les États-Unis pour être pointilleux. Je te présente: l'élevage intensif. Le contrôle suffisant de la nature s'est transformé en contrôle nécessaire. Ces bêtes vivent empaquetés dans un espace clos et exigüe jusqu'au jour de l'holocauste animalier. Puis direction, les grandes surfaces garnie d'une masse impressionnante de victuailles inutiles dont les deux tiers terminerons leur course effrénée dans je ne sais quelles poubelles publique ou privée d'un quartier inconnu. Maintenant, posons-nous au milieu de ces consommateurs endurcis. On ne compte plus combien de cas d'obésité parmi ces pays riches. Le nouvel esclavage deviendrait-il la sur-dépendance aux produits industriels d'une toxicité avéré? "Et Dire qu'il suffirait qu'on arrête d'acheter pour que ça ne se vende plus" Disait Michel Colucci, plus connu sous le sobriquet de "Coluche".

Quand la surproduction fait rage d'un coin de la planète, de l'autre règne la famine. Comme en Afrique par exemple ou en Asie, Au Bangladesh. Regarde le ventre grossit par la faim de ces enfants s'agrippant tant bien que mal à la côte saillantes de leurs mères pour peu qu'elles fussent encore en vie après leurs accouchement précaire. Oui c'est une horreur, une aberration. Mais ce n'est que le lot des paradoxes de la pensée sociale mondiale. J'ai bien dis: mondial, et pas universelle. Tous les mots ont leur importance cher ami. Tu commences déjà à comprendre que les raisons de mon suicide se prolonge davantage dans ma mort que dans ma véritable histoire. Certes, cela te semble encore pure aberration, et je ne peux qu'être compréhensif vis à vis de toi, jeune novice. Étonnement, depuis que je suis mort, je trouve un certain entrain à en trouver les raisons précises qui on fait ce que je suis maintenant: une âme errante en quête de sens. Je suppose que tu l’aies remarqué, depuis que je te conte une partie de mon histoire, je ne peux m'empêcher de décrire ce que j'aperçois maintenant de ce monde. Certes, je le pensais terriblement atteint, mais pas au point d'être perdu. Et pourtant,... . Un mort de plus ou de moins n'aurais rien changé.

Continuons, veux-tu, notre tour infernal du monde palpable. Restons donc sur ce continent et voguons vers le Mexique. Nous y voilà, une bonne bouffé de narcoleptique pour se remettre d'aplomb? Les hommes perdent véritablement leur temps à inventer des substances pour provoquer chez eux un semblant de bonheur effréné au lieu de le chercher au fond d'eux. S'ils mettaient moins de temps à synthétiser diverses drogues, peut être trouveraient-ils le temps de s'adonner à des plaisirs, certes, plus primaires, mais peut être beaucoup plus jouissif. C'est intriguant de faire encore partie de ce monde, tout en y faisant plus partie. J'ai l'impression qu'avec ce corps en moins, cela me procure un certain recul. Je peux donc avoir une vue d'ensemble sur le désastre. Si je continue mon histoire? Bien sûr, si là est ton désir.

Ma vie fut d'une banalité sans précédent. Un peu de succès avec les filles, un métier de fonctionnaire de l'état, un appartement plutôt bien situé. Ou comment résumer ma vie en trois critères. Retournons, à mon chef d'œuvre. Rien d'alarmant n'est-ce pas? Parfaitement logique, j'avais tout sans avoir rien. Tout juste de quoi vivre. Et je dois dire que je vivais plutôt bien. Alors pourquoi une telle fatalité? Je dois dire que je n’avais pas tellement à me plaindre. Peut être fut-ce la raison qui impliqua ce choc chez mes voisins. Tiens, voilà Mme Lapierre. La voisine d'en haut, qui n'arrêtais pas de pinailler sur ceci ou cela qui n'allait pas dans le quartier. Cela ne fait même pas deux semaines que je suis mort et pourtant mon appartement est déjà comme neuf, prêt à être revendu à une autre âme perdue. Les pleurs de ma sœur ont cessé. J'aurais peut être souhaité qu'elle pleure plus longtemps mais c'était sans compter le train-train quotidien de la vie. Certes, quand j'étais en vie, j'étais seul mais maintenant que je suis mort, je me sens abandonné. J'aurais pensé que ma mort la fasse réfléchir sur nos relations et l'aide à aller de l'avant. Je l'avoue, elle est allée de l'avant ... en n'emportant aucun souvenir de moi. Elle va payer l'enterrement, la pierre tombale, la cérémonie et niet. Ce sera fini de mon existence.

La mort nous autorise, selon diverses croyances, un flash-back sur notre vie, une sorte de résumé voir ce pourquoi on a vécu, ou ce pour quoi on est mort. J'ai eu l'occasion de le faire devant toi cher ami, et qu'en est-il? Je voulais ma mort pour changer ma vie. Et dans ma mort, je vis pire que l'enfer, je vis l'abandon de ceux que j'aime, je vois le monde en face tel qu'il est dans toute son absurdité... et je ne pourrais sûrement plus rien pour le changer. Personne ne pourra ce soucier du sens précis de mon suicide qui fut certes, primaire au début, mais une fois de l'autre côté, je me rends compte que cela n'a rien changé. Ma vie était dénuée de sens, Ma mort semble, elle aussi dénuée de sens maintenant. La vie dans tout son cycle est absurde. Pourquoi se battre si ardemment dans un monde de fous si à l'annonce de votre mort, l'oubli vous engloutie. Que reste-t-il de nous, Pauvres âmes? Seules contemplant l'absurdité de la vie sur terre, l'idiotie des hommes et l'oublie. J'espère mon cher ami que tu ne m’oublieras pas toi, j'ai apprécié ce morceau de chemin avec toi. Maintenant va, c'est à toi de changer et de réussir là où j’ai échouer : transformer le monde au lieu de l’abandonner.

Astrid Arnaud, décembre 2010


Grand Jacques RE: Esprit Ajouté le 29/10/2011 à 00h31
Bonjour Astrid

Choisir sa mort pour mieux parler avec détachement de l’absurdité de la vie…

Ce texte profond demande plus que deux lignes de réflexion, je me permettrai d’y revenir.

En tous cas le choix d’une citation de JMG Le Clézio est très judicieux, ce grand écrivain partagé entre onirisme et mythe est pour moi à la hauteur des Camus et Sarthe qui ont disserté sur ce sujet.

A bientôt

Jacques

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