le coeur de la Matière
fil de fer | le coeur de la Matière | Ajouté le 18/05/2008 à 22h36 |
L'homme, encore prosterné, eut un sursaut, comme s'il eût senti l'éperon. D'un bond, il se redressa, face à la tempête. Toute l'âme de sa race venait de tressaillir, - souvenir obscur du premier éveil parmi les bêtes plus fortes et mieux armées, - écho douloureux des longs efforts pour apprivoiser le blé et s'emparer du feu, - peur et rancune devant la force malfaisante, - cupidité de savoir et de tenir... Tout à l'heure, dans la douceur du premier contact, il eût souhaité instinctivement se perdre dans la chaude haleine qui l'enveloppait. Voici que l'onde de béatitude preque dissolvante s'était muée en âpre volonté de plus être. L'homme avait flairé l'ennemie et la proie héréditaire. Il enracina ses pieds dans le sol, et il commença à lutter. Il lutta d'abord, pour n'être pas emporté; et puis, il lutta pour la joie de lutter, pour sentir qu'il était fort. Et plus il luttait, plus il sentait un surcroît de force sortir de lui pour équilibrer la tempête; et de celle-ci, en retour, un effluve nouveau émanait, qui passait, tout brûlant, dans ses veines. Comme la mer, certaines nuits, s'illumine autour du nageur, et châtoie d'autant mieux en ses replis que les menbres robustes la brassent avec plus de vigueur, ainsi la puissance obscure qui combattait l'homme s'irradiait de milles feux autour de son effort. Par un éveil mutuel de leurs puissances opposées, lui, il exaltait sa force pour la maîtriser, et elle, elle révélait ses trésors pour les lui livrer. - Trempe-toi dans la Matière, Fils de la Terre, baigne-toi dans ses nappes ardentes, car elle est la source et la jeunesse de ta vie. Ah! tu croyais pouvoir te passer d'elle, parce que la pensée s'est allumé en toi! Tu espérais être d'autant plus proche de l'Esprit que tu rejetterais plus soigneusement ce qui le touche - plus divin si tu vivais dans l'idée pure, plus angélique, au moins, si tu fuyait les corps. Eh bien! tu as failli périr de faim! Il te faut de l'huile pour tes menbres, du sang pour tes veines, de l'eau pour ton âme, du Réel pour ton intelligence; il te les faut par la loi même de la nature, comprends-tu bien?... Jamais, jamais, si tu veux vivre et croître, tu ne pourras dire à la Matière: "Je t'ai assez vue, j'ai fait le tour de tes mystères, j'en ai prélevé de quoi nourrir pour toujours ma pensée." Même, comme le Sage des Sages, tu porterais dans ta mémoire l'image de tout ce qui peuple la Terre ou nage sous les eaux, cette Science serait comme rien pour ton âme, parce que toute connaissance abstraite est de l'être fané; parce que, pour comprendre le Monde, savoir ne suffit pas: il faut voir, toucher, vivre dans la présence, boire l'existence toute chaude au sein même de la Réalité. Ne dis donc jamais, comme certains: " La Matière est usée, la Matière est morte!" - Jusqu'au dernier moment des Siècles, la Matière sera jeune et exubérante, étincelante et nouvelle pour qui voudra. Ne répète pas non plus:" La Matière est condamnée, la Matière est mauvaise!" - Quelqu'un est venu qui a dit: "Vous boirez le poison et il ne vous nuira pas." - Et encore:" La vie sortira de la mort", et enfin proférant la parole définitive de ma libération:" Ceci est mon corps". Non, la pureté n'est pas dans la séparation, mais dans une pénétration plus profonde de l'Univers. Elle est dans l'amour de l'unique Essence, incirconscrite, qui pénètre et travaille toutes choses par le dedans, - plus loin que la zone mortelle où s'agitent les personnages et les nombres. Elle est dans un chaste contact avec ce qui est " le même en tous ". Oh, qu'il est beau l'Esprit s'élevant, tout paré des richesses de la Terre! Baigne-toi dans la Matière, fils de l'Homme. Plonge-toi en elle, là où elle est la plus violente et la plus profonde! Lutte dans son courant et bois son flot! C'est elle qui bercera ton inconscient; c'est elle qui te portera jusqu'au divin! L'Homme dans le désert, vois fondre sur lui un ouragan: c'est la Matière, qu'il aura à charge de porter jusqu'à l'Esprit, car il est lui même cette part de la Matière où est apparue la conscience. |
loreley89 | RE: le coeur de la Matière | Ajouté le 20/05/2008 à 20h59 |
donc, l'esprit ne survivra pas à la matière? si elle disparaît, tu veux donc dire que l'esprit n'est ps éternel?.. |
fil de fer | RE: le coeur de la Matière | Ajouté le 21/05/2008 à 15h46 |
L'inconnu, englobe une auréole de mystère. Mais il est d'avantage encore: " Comment vivre sans inconnu devant soi?". Prévenons quelques confusions possibles. Sauvegarder cet inconnu ne consiste pas à croire à l'occulte ni même au surnaturel, à réserver la possibilité d'une religion, mais à affirmer qu'en ce monde-ci certaines choses qui nous sont familières ne sont pas réductibles à l'intelligence abstraite: la poèsie, l'amour, l'individualité de chacun, l'espérance, le caprice, l'imagination, l'enthousiasme, " l'innondation, l'herbe folle et le feu ". L'inconnu n'est donc pas l'angoisse, vraie jusqu'à en être banale, de l'immense inconnu au milieu duquel vit la minuscule humanité dans son petit cercle de lumière: c'est dans ce cercle même que réside cet inconnu qui, loin d'angoisser, réconforte. Pour parler proverbialement, nous sommes ici aux antipodes de ce qu'on appelle l'esprit cartésien. Tout n'est pas méthodique, planifiable, réductible à des idées claires et distinctes; l'homme se perd s'il prétend devenir maître et possesseur de la nature. La connaissance par idées claires et distinctes est un savoir " planchéié ". Il y a plus. L'intelligence est une excellente chose tant qu'elle se cantonne en son domaine; mais il y a en elle une volonté de puissance; elle veut supplanter ce qui n'est pas elle, elle nie ce qui la dépasse. La théorie littéraire, chez certains, tue le sens littéraire; une psychanalyse de garçon boucher réduit les extases de sainte Thérèse à de la sexualité sublimée. Affirmer l'inconnu, c'est refuser à l'intelligence la toute-puissance usurpée à laquelle elle prétend. La conscience de l'inconnu familier préserve l'espérance et le désir. Cet inconnu, qui nous est si proche( c'est nous-mêmes ), nous semble lointain - la lueur d'une petite flamme -, car par réserve, nous évitons de le scruter. L'espérance ne va pas scruter ses bonnes ou moins bonnes raisons, sous peine de cesser d'être, mais laisse au monde son auréole de mystère afin d'éveiller la réverie. Et, comme la poésie se soucie moins d'enseigner que de fixer des symboles dans la mémoire, les idées se concrétisent en une image, celle de la flamme d'une chandelle qui ne révèle qu'elle-même et, loin de dissiper l'obscurité, fait seulement voir qu'il y a de la nuit. |
loreley89 | RE: le coeur de la Matière | Ajouté le 22/05/2008 à 11h34 |
...Inconnu...ce mot me plaît ..il est source d'inspiratiion..Merci pour ce long commentaire..à lire et relire ... |
Ces poèmes attendent vos commentaires
© Indigene Poésie 2003-2019. Tous Droits Réservés.